Le safran doit son qualificatif d’ « or rouge » à sa rareté et à sa préciosité, deux caractères qui s’expliquent par sa récolte complexe et les faibles rendements produits par la plante vivace dont il est issu, une variété de Crocus inexistante à l’état sauvage.
Deux à trois fois plus coûteux que le caviar, performance qui relève déjà de l’exploit, le safran ne s’échange pas contre un plat de lentilles ni un sac de flocons d’avoine. Pour s’offrir un kilo de la précieuse épice, les plus téméraires iront peut-être jusqu’à casser leur PEL, céder à vil prix ce qui restent de leurs bijoux de famille ou liquider leur cave à vin de ses grands crus : 30 à 40 000 euros les 1 000 grammes (ce n’est qu’une estimation, soumise aux aléas des marchés mondiaux) voilà qui donne à réfléchir avant de parsemer copieusement sa soupe de poisson ou son bol de riz de quelques brindilles de safran aux notes gentiment mielleuses et métalliques.
Safran et pastiches
Cette grosse cote vaut à l’épice un désagrément majeur, rançon d’un succès qui traversé les âges et les continents depuis plusieurs millénaires : parce qu’elle est la plus chère, l’aromate de Crète – peut-être son berceau grec d’origine – est aussi la plus frelatée au monde. Un chiffre significatif traduit l’ampleur de cette fraude déployée à très grande échelle : environ 1 400 tonnes de « safran » sont écoulées chaque année au niveau international alors que la production est presque cinq fois moindre (300 tonnes), un volume d’ailleurs assuré à plus de 80% par l’Iran (240 tonnes).
Par omission, de faux safrans traînent, par-ci par-là, sur les étals et les rayons de supermarchés, à l’instar du curcuma longa, parfois appelé « safran des Indes » ou « safran vert » alors qu’il s’agit d’une épice apparentée au gingembre. Autre potentielle tromperie sur la marchandise : la fleur séchée du carthame rouge, parfois vendue sous l’appellation de « safran », rapport à sa couleur identique à celle de l’épice véritable (dont elle n’a pourtant ni le parfum ni le goût), donne lieu chez certains distributeurs malhonnêtes à une véritable contrefaçon adroitement mise en scène.
Comment démêler le vrai du faux safran, qu’il soit importé de Perse, ou produit directement en France par la petite centaine de safraniers qui exercent, pour les plus importants d’entre eux, dans le Quercy (Lot), le Gâtinais (Loiret, Seine-et-Marne) ou la Normandie, parfois sous forme de coopératives ?
Épice et pistil
Le safran véritable est prélevé sur le Crocus Sativus, une plante bulbeuse de la famille des Iridacées qui englobe dans son clan d’autres espèces spécialement cultivées pour leurs fleurs, comme le glaïeul et l’iris. L’épice tirée du Crocus Sativus provient de son pistil prolongé par trois filaments, appelés « stigmates »: c’est cet élément tripartite, comestible, qui est récolté puis travaillé pour tenir lieu d’épice. Il est plus simple d’identifier – et plus difficile à falsifier – le vrai safran lorsqu’il se présente sous cette forme d’origine si caractéristique, constituée de ces brins séchés rouges vifs légèrement évasés à leur base, comme des petites trompettes, et souvent conditionnés dans des fioles de verre.
Les filaments du safran authentique mesurent entre 1 et 3 centimètres longs et certains – signe hautement distinctif – présentent une teinte jaunâtre à leur extrémité inférieure.
Il existe d’ailleurs une astuce imparable pour s’assurer qu’il s’agit bien de safran, et non de curcuma, de carthame ou de paprika : si l’épice, à l’état sec, est bien rouge, elle vire au jaune lorsqu’on l’humidifie. Le test simple à réaliser : il suffit de frotter délicatement une brindille entre deux doigts mouillés. Mêmes effets avec le safran réduit en poudre, dont les faux amis sont plus compliqués à déceler et à trahir.
Epice et pince
Le prix stratosphérique du safran découle de ses modes de récolte et de préparation, deux étapes cruciales qui obéissent à un processus assez complexe, voire stressant : la plante, vivace, fleurit à l’automne, d’octobre à décembre, à l’issue d’une période floraison qui laisse, dans sa phase finale, éclater un superbe tapis de pétales mauves, d’où émergent les trois fameux petits stigmates écarlates, comme autant de petites antennes plus ou moins dressées vers le ciel.
Epice de bonne heure
Une fois éclose, la fleur de safran a une durée de vie très courte : deux jours à peine. Un compte à rebours express qui contraint les producteurs à amorcer une véritable course contre la montre, avant que le fleur ne périsse. Sa récolte s’effectue généralement tôt le matin, afin que la fraîcheur préserve les qualités gustatives du produit qui subit ensuite un émondage, opération visant à extraire du pistil les trois filaments rouges, une manœuvre laborieuse et précise que beaucoup de safraniers réalisent à l’aide d’un simple pince à épiler. L’épice est ensuite séchée, parfois à l’air libre, sur un tamis, parfois dans un four électrique.
Il faut beaucoup de fleurs de Crocus Sativus pour obtenir quelques pincées de safran : environ 150 fleurs pour une quantité d’épice équivalente à 1 gramme seulement. On vous laisse faire la multiplication pour atteindre le kilo, même si certains producteurs avancent des chiffres divergents, plus modestes chez les uns (50 000 fleurs pour 1 kg), plus spectaculaires encore chez les autres (250 000 fleurs). Rappelons que chaque bulbe donne 1 à 3 fleurs.
Epice de joie ?
En cuisine, le safran est utilisé pour sa saveur distinctive, ses arômes floraux et ses teintes dorées. Il s’est imposé depuis des lustres comme un ingrédient essentiel dans de nombreux plats traditionnels du Moyen-Orient, de l’Inde, de l’Europe et d’autres régions du monde. Quelques brins de safran suffisent en effet à transformer un plat en un festin raffiné et relevé. On le trouve à foison ou à plus faibles doses pour donner du goût à la paella espagnole, au biryani indien ou à la bouillabaisse française, et/ou leur donner cet aspect jaune-or grâce à la crocine, un caroténoïde naturel concentré par les crocus.
En plus de sa valeur culinaire, le safran possède des propriétés curatives que nos lointains ancêtres avaient identifiées. Il a été employé dans la médecine traditionnelle pour ses propriétés antioxydantes, anti-inflammatoires, et ses bienfaits dans le processus digestion. Des études modernes ont également montré que le safran peut avoir des effets positifs sur l’humeur : des vertus anti-dépressives et anti-stress qui proviendraient d’une du safranal, un des composés naturels de la plante capable d’agir sur le système nerveux en y encourageant la libération de sérotonine, la fameuse « hormone du bonheur ».
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