Utilisée comme engrais vert, la moutarde blanche (Sinapis Alba) est surtout connue pour ses graines, ingrédients de base du fameux condiment au goût piquant et vinaigré. Autre caractéristique : elle est presque aussi rapide que l’éclair.
Avant d’être un pot, la moutarde est une plante, au même titre que le chou, le navet ou le rutabaga, trois légumes répertoriés dans la même famille botanique qu’elle, les brassicacées. Au jardin, la moutarde monte, mais pas jusqu’à ton nez : elle déploie ses tiges ramifiées jusqu’à 90 centimètres en hauteur (au grand maximum) et développe de jolies fleurs jaunes qui, après fécondation, se changent en gousses, discrètes capsules où se nichent, comme autant de petites pilules beiges, une fratrie de 4 à 8 graines.
Bel appareil que la moutarde ! Ses pétales dorés embaument ton nez – encore lui – d’un agréable parfum miellé où les abeilles viennent puiser le nectar et le pollen pour perpétuer le cycle immuable de la Nature.
Entre Chine, Égypte, Bourgogne et Canada
Cet admirable ballet parfaitement réglé se déroule loin, souvent très loin, de Dijon à laquelle les Français associent, par un raccourci bien naturel, la moutarde blanche : 80% des graines de Sinapis Alba importées en France viennent en effet du Canada. Malgré un climat favorable et une vieille tradition qui remonterait aux Ducs de Bourgogne (des descendants, en branche cadette, du Roi de France Jean le Bon, mort en 1364), sa culture périclita dans l’Hexagone après la deuxième guerre mondiale : à l’époque, la moutarde avait lourdement payé sa non-éligibilité aux aides européennes de la PAC, contrairement à d’autres plantes subventionnées comme le colza ou le tournesol qui profitèrent de ces soutiens financiers pour prendre le dessus sur elle.
On la vit faire une discrète réapparition en Côte-d’Or à partir des années 1990 sous l’impulsion d’une moutarderie de Beaune qui, en 2009, parvint à décrocher auprès des instances de l’UE une Indication Géographique Protégée (IGP) : Moutarde de Bourgogne ! La mention de ce label garantit que ladite pâte contient une série d’ingrédients locaux, dans des proportions bien définies : des graines produites dans la région (6 000 hectares avaient été recensées sur le territoire en 2017), toutes diluées dans un liquide composé à 25% de vin blanc en AOP (du Bourgogne bien sûr !).
La Bourgogne et Dijon n’ont pas le monopole de la moutarde en France. On trouve des espaces cultivés en Beauce, en Champagne, en Val-de-Loire. Insuffisants toutefois pour approvisionner les quelques fabricants artisanaux disséminés en Charente ou dans le département de l’Allier qui continuent d’acheter majoritairement canadien, convaincus par des prix moins chers, mais aussi pénalisés par une offre très parcellaire dans leur propre pays. Beaucoup d’agriculteurs tricolores, sollicités par des moutarderies de leur « cru », désireuses d’accroître leur part de graines françaises, hésitent en effet à semer la moutarde, lui préférant très largement le colza et son meilleur rendement.
Vous l’aurez deviné, l’herbacée ne plonge pas ses racines en Bourgogne. Son histoire s’inscrit dans une longue chronologie qui remonte loin dans le temps et l’espace : on la trouvait en Chine et dans le bassin méditerranéen il y a plus de 3 000 ans ! Les chercheurs envoyés par Napoléon au cœur des Pyramides y découvrirent des traces de « moutarde » (les graines, pas le condiment), preuve que les huiles égyptiennes de l’époque des Pharaons en avait une haute opinion, au point de lui reconnaître une certaine aura d’ordre spirituel.
Moult tarde au Duc !
L’association de la moutarde et du vinaigre, recette magique qui fit d’elle le condiment qu’on connaît aujourd’hui, fut sans doute une initiative romaine : Apicius, le chef de cuisine des Empereurs Auguste et Tibère, souverains tout-puissants à l’époque du Christ, évoque cet assaisonnement encore récent dans son célèbre traité culinaire « De re coquinaria », premier manuscrit du genre de l’Histoire. 800 ans plus tard, un autre Empereur, franco-germanique cette fois, imbibé de culture latine, ne se fit pas faute d’inviter la moutarde à sa table.
C’est au cours des siècles suivants, en plein cœur du Moyen Âge, que la Reine des sauces se taille un royaume à sa mesure sous nos contrées : elle acquiert ses plus belles lettres de noblesse en Bourgogne, pays de vins et de vinaigre qui lui offre de juteux débouchés et un excellent point de chute. Saint-Louis, qui s’engoue de moutarde au point d’en procurer sous forme de cadeaux à son épouse, passe commande de « pots » auprès de producteurs de Dijon. C’est son lointain descendant, Louis XIII (1634), qui établira dans cette ville la Corporation des Moutardiers et Vinaigriers.
La capitale bourguignonne capitalise encore aujourd’hui sur cette tradition locale, promouvant une légende fabriquée de toute pièce qui détourne à son profit un vieux dicton de Philippe le Hardi, un duc du cru : en 1382, en pleine guerre de cent ans, ce dernier quitte Dijon pour rétablir l’ordre au nord de ses États, en Flandre. Fatigué par sa campagne victorieuse, le prince revient, recru, au bercail et entonne au son du tambour « Moult me tarde (littéralement « Qu’il me tarde ») de… revenir à Dijon ! », devise personnelle qu’il finit par offrir à la ville en remerciement des précieux soldats que ses élites urbaines ont bien voulu lui fournir pour mener sa bataille.
Le jeu de mot ducal, qui n’en était sans doute pas un à l’origine, fut récupéré au XXᵉ siècle par l’industrie et la publicité « moutardières » promptes à le mettre en exergue sur les pots confectionnés à Dijon.
Moutarde blanche, engrais vert
Beaucoup plus sûrement, la moutarde tire son nom de l’association deux mots latins, « mustrum » et « ardens », littéralement « moût ardent », référence au malt initialement utilisé par les Romains pour produire le condiment.
Au jardin, la moutarde blanche ne chôme pas : c’est une plante à croissance rapide qui peut atteindre sa maturité en 4 à 6 semaines environ, selon la variété cultivée, la qualité du sol et les conditions climatiques. Ses graines se récoltent lorsque les feuilles de la plante se fanent et que les tiges se dessèchent. Précisons que la moutarde blanche est également semée en fin d’été en tant qu’engrais vert afin d’améliorer la fertilité des sols en prévision d’autres cultures.