Légumineuse comme le pois, le haricot ou la lentille, la fève a longtemps été un symbole de fécondité, clin d’œil à la silhouette de ses semences, proche de celle d’un embryon, et à son cycle de croissance rapide : au printemps, seulement trois mois après sa mise en terre, elle est la première à faire émerger ses fruits, une gousse qui enveloppe une ligne de 4 à 10 graines (selon les variétés), mûrs pour la cueillette dès le mois d’avril sous les climats les plus doux.
Dans le sud de la France, singulièrement en Provence, la réapparition des fèves dans les assiettes méditerranéennes coïncide avec l’éternel retour des beaux jours. Pour les adeptes du légume, le labeur relatif que représente l’écossage de ses longues gousses vertes est d’autant mieux supporté qu’il s’apparente à un agréable petit rituel de printemps.
La fève du samedi soir (Jour de Saturne)
Cette aura positive, associée à l’émergence précoce de ses graines peu après la fin de l’hiver– soit trois à quatre mois environ après le semis – ont conduit les anciennes civilisations à faire de la fève un symbole de fécondité, et l’expression d’une renaissance perpétuelle automatisée par le cycle immuable des saisons. Ce « rang » spirituel conféré à ce germe en forme de fœtus, explique notamment l’usage qu’en firent les Hommes depuis l’Antiquité jusqu’à notre époque contemporaine pour nourrir d’allégories cette tradition culturelle qu’est la fameuse galette des Rois : les fèves d’aujourd’hui, représentées sous la forme de figurines de plastique, ne sont plus les authentiques fèves d’antan, ces graines véritables qu’on extrayait de la cosse rigide de la légumineuse pour les incorporer à l’intérieur de la pâte des gâteaux.
L’Histoire dit que cette coutume remonte aux Romains avant que l’ère chrétienne ne s’en empare dans un dessein syncrétiste.
Lors de la célébration du solstice d’hiver dédiée à Saturne, divinité du Temps et des choses agraires, les citoyens de l’Empire organisaient, avec leurs esclaves, des festins collectifs à l’issue desquels l’heureux élu qui tirait la fève de sa portion de pâtisserie, était désigné « roi » de la fête. Un statut honorifique dont il se parait plusieurs jours pour imposer des « gages » inoffensifs à ses congénères. La fève, à laquelle les plus riches substituaient parfois une pièce de monnaie, traversa les siècles et habita de son halo religieux les agapes de Noël, inspirées des anciennes Saturnales, et bientôt les galettes de l’Épiphanie chrétienne. Les premières fèves en céramique, conçues à partir de porcelaine de Saxe d’abord puis de Limoges, coururent sus à la légumineuse qui déserta les desserts pour laisser place à des statuettes non comestibles.
À mesure qu’elle conquit le bassin méditerranéen, la Vicia Faba, dont les recherches archéologiques démontrent qu’elle fut domestiquée au Proche-Orient il y a au moins 9 000 ans, vit parfois son image se flétrir sous un épais brouillard d’interprétations superstitieuses, assez lugubres, au point de frapper le produit d’interdits alimentaires.
La phobie des Anciens ?
Du côté de l’Égypte, un « parcelle de fèves » était un espace littéralement sacré puisque c’est là, pensait-on, que les défunts trouvaient à se réincarner. Aussi les peuples nilotiques se refusaient-ils à en manger, de peur de se mettre une âme fugitive sous la dent. Croyance étrange qui prend tout son sens à la lumière de certains écrits grecs : on y lit que le philosophe Pythagore, poursuivi par des tueurs, préféra se laisser massacrer plutôt que tenter sa chance à travers champ, lui aussi, pour éviter d’y piétiner les précieuses gousses.
Bien plus tard, le biographe Diogène Laërce expliqua ce sacrifice par l’indéfectible respect que l’auteur du fameux théorème mathématique vouait à la légumineuse en raison de la troublante ressemblance de ses graines avec les glandes de son appareil génital et celles de tous ses congénères. Signe selon lui que c’est par cette porte dérobée, ce faux cul-de-sac pourrait-on dire, que l’esprit des disparus se faisait la paire pour ressusciter incognito, profitant du passage sans obstacles offert par les tiges creuses de la plante (elles n’ont pas de nœuds).
Une autre billevesée du même acabit nous vient d’un autre philosophe de langue grecque, Porphyre, selon lequel une fève préalablement mastiquée puis séchée de longues heures au soleil dégage « la même odeur que la semence humaine » (expérience amère à déconseiller, bien sûr, aux âmes sensibles !)
Une cure de fèves
Au-delà de ces considérations folkloriques, les vertus sanitaires de la Vicia Fava, bien réels, ne furent pas ignorées (ses grains, conditionnés dans des pots, sont distribués en parapharmacie) : les nutritionnistes contemporains louent notamment sa haute teneur en fibres et minéraux (potassium, magnésium, calcium). Ils mettent aussi en avant ses taux intéressants de vitamines B, C, E, et ses qualités diurétiques, indiquées dans le traitement de l’hypertension artérielle et les insuffisances cardiaques. La plante est aussi appréciée pour ses effets toniques.
Aujourd’hui, le Catalogue Européen des Espèces et Variétés répertorie dans ses registres plus d’une centaine de fèves, mais son homologue français n’en enregistre que deux, les plus courantes : Aguadulce à très longue cosse et Séville à longue cosse.
La première, très répandue dans le sud-est de la France, développe des gousses volumineuses et très étirées (jusqu’à 35 cm) où se lovent jusqu’à 9 grains particulièrement charnus. La seconde, autre grande classique, est légèrement plus courte sur pied que la précédente, un peu plus hâtive aussi : elle produit 5 à 6 grains dans des gousses de 15 à 18 centimètres.
D’autres variétés sont disponibles sur le marché, une vingtaine environ, dont certaines se distinguent visuellement, à l’image de la très précoce Grano Violetto reconnaissable à ses grains mauves (à maturité), et la polonaise Karmazyn qui produit, dans chacune de ses cosses, 4 à 5 fèves de couleur rose.
Généralement, les fèves sont mises en terre dès le mois d’octobre dans les régions aux hivers les plus doux. Là où les températures sont les plus rigoureuses, il est préférable de procéder à un semis en février ou mars.
J’adore les fèves, mais quelle plaie avec les pucerons ! Du coup j’y ai renoncé car trop de boulot a traiter pour le faible rendement.
Si vous semez assez tôt, les pucerons débarquent qu’une fois le cycle de la plante bien avancé. Ils se trouvent en haut de la tige mais si vous avez déjà 5-6 bouquets de fleurs, vous pouvez épointer la fève et retirer les pucerons par la même occasion.