Longtemps oublié et sous-estimé en France, le chou-rave, ce légume rare et chic, si populaire en Allemagne et en Europe de l’Est, ressort progressivement du trou béant où la dure psychologie des Hommes l’a enterré au milieu du XXème siècle.
Dans certaines parcelles de l’inconscient français, le chou-rave est lourd de sens et s’imbibe encore, parmi les plus anciennes générations, de quelques arrière-pensées guerrières, ressassant les heures sombres du temps jadis et des vaches maigres. Amère madeleine de Proust que le chou-rave dont la texture et le goût renverraient, par un troublant effet rétrospectif, au trauma des privations alimentaires : comme le topinambour et le rutabaga (chou-navet), il fut, sous l’occupation nazie et le régime de Vichy, l’un des rares mets à ne pas avoir faire l’objet de mesures strictes de rationnements. Outre ce traitement de faveur, sa culture des plus simples incitait les contemporains à en faire une sorte de « bouche trou ».
Rave âgé et « jeûne »
Certains ménages s’en nourrissaient donc par défaut et avec une abondance qui, au fil des saisons, a confiné à une franche saturation. D’où le rejet relatif dont il a – sans doute injustement – été la cible après 1945, lorsque de nombreux foyers, souhaitant profiter du lent retour à normale qui s’opérait alors dans la distribution des produits agricoles, ont cherché à rééquilibrer leur menu au détriment de ce légume pourtant non dénué de qualités gustatives et nutritionnelles (nous y reviendrons).
Avec les années et l’évolution de la pyramide des âges, le chou-rave s’est progressivement dégagé des replis sombres et tortueux dans lesquels l’Histoire des Hommes (des français surtout) l’a enfermé, au point d’avoir recouvré une certaine virginité et le rang qu’il mérite au potager (à moins d’avoir un pote âgé, bien sûr, qui en découragerait la culture au motif qu’il réveillerait chez lui de douloureux souvenirs d’enfance ).
Aujourd’hui, les plus imaginatifs irait jusqu’à déceler dans cette plante un symbole de guerre froide, rapport à l’aspect satellitaire de sa boule hérissée de tiges qui rappellent les antennes plantées sur la sphère métallique du Spoutnik 1 lancé par les russes en 1957 (bip-bip). Fière allure qu’il ne partage avec personne, même pas son cousin – le navet – bien moins …spatial que lui.
La main au collet
On touche ici à la particularité du chou-rave : c’est à la base de sa tige que l’attention des jardiniers et des cuisiniers se porte. Il diffère en cela des espèces plus courantes dont on consomme les têtes ou « pommes » formées par leurs feuilles, ou leur organes pré-floraux (dans le cas du chou-fleur, par exemple).
En soi, le suffixe « rave » attaché au chou qui nous intéresse ici est une formule impropre : dans le langage vernaculaire (autrement dit, non scientifique), ce terme assez mal défini désigne généralement les espèces potagères ou fourragères cultivées pour leurs « racines ». La betterave en est sans doute un des exemples les plus exacts et significatifs.
Or le chou-rave – comme du reste le céléri-rave – sont produits pour leur « collet », cette partie renflée qui se développe à la base de leurs tiges, en surface (de fait, il n’est pas besoin de creuser pour l’apercevoir). Cette excroissance charnue résulte d’une tubérisation : pour faire simple et clair, c’est le processus biologique au cours duquel se forme un tubercule, petit organe de réserve où des substances nutritives sont stockées pour permettre à la plante de bien passer l’hiver. Pour ce qui est du chou-rave, le phénomène se produit donc sur l’hypocotyle de la tige (partie basse et encore visible), là où, chez beaucoup d’autres végétaux, la même transformation se réalise en sous-sol, soit directement à la racine (carotte, chou-navet), soit au niveau du rhizome (pomme de terre).
La « mue » s’accomplit assez rapidement puisque le gongylodes (son nom botanique en grec qui évoque la « rondeur ») est à arracher dans un délai de huit à dix semaines après le semis, lorsque son tubercule aérien atteint la taille d’une balle de tennis ou d’une orange, soit cinq et dix centimètres. Il est déconseillé de le laisser grossir au-delà de ce diamètre, au risque d’obtenir des collets de texture plus filandreuse. Récolté à point, pelé au couteau et mangé cru le chou-rave révèle une chair croquante et juteuse qui exsude une vague saveur de noisette et radis ! Cuit, son goût évoque plutôt celui du navet.
Selon les variétés, sa couleur passe du blanc au vert (Blanc de Vienne, Superschmelz, Lanro), et étire sa palette artistique jusqu’au violet (Dyna, Azur Star-en test au Jardin d’Essai en cette saison 2020, Violet de Vienne).
Le chou-rave est donc cultivé comme une plante annuelle, bien que son cycle de croissance s’effectue sur deux ans, la seconde étape étant marquée par l’apparition de la hampe florale. Son ascendance botanique le rattache naturellement à la famille du chou commun (brassica oleracea), déclinée en de multiples variétés dont les caractéristiques propres tiennent, on l’a vu, à la nature de leurs principaux éléments comestibles : une rosette de feuilles dans le cas du chou-cabus (Brassica oleracea var. capitata), un méristème floral chez le chou-fleur (Brassica oleracea var. botrytis) et un tubercule-tige pour le chou-rave (Brassica oleracea var. gongylodes).
Au-delà de son aspect général qui, visuellement, en fait un des légumes les plus esthétiques et insolites du règne végétal, l’apport nutritif du chou-rave justifie à lui seul sa lente et nécessaire réhabilitation au jardin : peu calorique, le chou-rave est riche en fibres (bons pour le transit intestinal), en vitamines C (propriétés antioxydantes, santé des os et des cartilages) et en calcium (maintien de la pression sanguine et bonne contraction des muscles).
Gelé comme une rave
En amont de ces considérations physiologiques, l’atout phare de la plante tient à sa culture simple et rapide :
Le gongylodes est un peu moins pointilleux que la plupart des autres choux. Il s’épanouit sur tous les types de terrain à condition de bien les préparer. Il résiste plutôt bien aux rigueurs climatiques et tient tête aux ravageurs. Son seul véritable ennemi : la sécheresse prolongée. En période estivale, il faut donc lui réserver de généreuses rations d’arrosage (l’apport d’humidité permet aussi de lui garantir une chair tendre).
Le semis s’étend généralement de mars à juillet (le chou-rave tolère les gelées tardives du printemps). Lui choisir un emplacement bien desservi en soleil ou, à défaut, une situation mi-ombragée. Aérer le sol en sarclant et binant. Pailler en été pour maintenir le plant au frais. Au bout de deux à trois mois, la tige de la plante aura formé un beau tubercule de cinq à dix centimètres de diamètre qu’il sera temps d’arracher. En fonction de la date du semis, la récolte est possible jusqu’aux premières gelées d’automne.
En conclusion : le chou-rave a plus d’un tour dans son sac. Victime de son succès dans les périodes de pénurie, et victime de la mode dans les années qui ont suivi la Libération, ce tubercule retrouve peu à peu sa juste place au soleil. Son aspect original, son physique avenant, sa richesse nutritive et sa culture peu exigeante l’ont légitimé aux yeux de nombreux jardiniers qui cherchent, depuis plusieurs années, à redorer le blason de ces légumes anciens injustement égarés dans les oubliettes de l’Histoire.
bonjour,
légumes facile à cultiver ? ce n’est pas du tout mon avis !
J’adore le chou-rave violet et j’ai tenté deux fois de le cultiver …. A chaque fois, seuls deux ou trois ont daignés devenir des boules ; Mais, ils ont été envahis de limace et/ou escargots qui les ont dévorés tous jeunes et le feuillage croqué lui, par le petit insecte noir du choux . J’ai d’ailleurs ce même souci avec le choux kale et les radis que même mon filets anti-insectes n’enraye pas !
Au final, je n’ai pu bénéficier que de la consommation d’UN chou-rave sur les deux essais !!!!!!
Bonjour,
Pour ma part je peux dire aussi que c’est un légume facile à cultiver, aucun travail ! Je les ai semé dans mon jardin début avril et chaque graine a germé, je les ai repiqué mi mai et là ils ont déjà les boules qui se forment. Un super bon légume que je cultiverais chaque année.
Bonjour,
Ayant beaucoup de prédateurs, notamment des criquets, je préfère le semer en terrine et le repiquer en godets individuels à l’abri sous serre, puis le planter au potager lorsqu’il est plus costaud et moins tendre. En Provence, je dois le pailler pour lutter contre la sécheresse. Je butte un peu la base de la boule, à deux reprises, ça l’aide à grossir. C’est bon, frais, cru, râpé ou en tranches très fines en vinaigrette… et moi aussi je le trouve joli au potager ! Bon appétit !
J’en ai déja cultiver c’est tres bon et merci ,pour tout intéressant votre page et toutes les sortes de légumes merci beaucoup