Leurs tailles mises à part, concombres et cornichons se ressemblent comme deux gouttes d’eau : ça tombe bien ils en contiennent beaucoup. De fait, les deux cucurbitacées proviennent bien de la même espèce de plante, avide de chaleur et de luminosité. Pour autant, n’allez pas croire que le second est une version imparfaite du premier, autrement dit que le cornichon serait un concombre pas complètement « fini ». C’est un brin plus technique que cela. On vous explique.
Crrrrr… lorsqu’on les livre à l’étau de nos mâchoires, ils s’y consument dans un bruit sec de biscotte matinale. Cette comparaison de pure forme, utilisée pour sa simple valeur sonore, s’arrête là : car le célèbre pain beurré de la Cage aux Folles doit en effet ses propriétés croustillantes – et cassantes – à son extrême pauvreté hydrique.
Nés en Asie
Pour les concombres et les cornichons, c’est l’inverse. Leur texture craquante s’accompagne en bouche d’une agréable sensation d’humidité, de fraîcheur diffuse et revigorante qui ne confine jamais à la fadeur, du moins dans la majorité des variétés actuelles, les plus courantes, résultats de longs processus sélectifs visant à répondre aux standards recherchés par les consommateurs : l’amertume congénitale du concombre historique, qui poussait à l’état sauvage au pied de l’Himalaya il y a plus de 3 000 ans (l’Asie est sans doute son berceau originel), n’a pas résisté à la lente domestication dont il a fait l’objet au cours des millénaires.
Si bien que la plupart des individus proposés aujourd’hui à la commercialisation sont des cultivars débarrassés de cette âcreté naturelle : elle perdure néanmoins, et à des degrés divers, dans la chair de certaines variétés très souvent incluses parmi un groupe bien identifié de concombres plus anciens, les épineux, reconnaissables à leur aspect trapu et courtaud (ils ressemblent à de gros cornichons) et à leur épiderme piquetée de petites aiguilles éparses et inoffensives.
Attention toutefois à ne pas s’égarer dans des déductions par trop hâtives : chez les végétaux comme chez le Sapiens, l’habit ne fait pas le moine et, dans le cas de la curcubitacée qui nous intéresse dans le présent paragraphe, une peau hérissée d’épines ne révèle pas à elle seule la présence ou l’absence d’une pointe d’amertume en son sein*. Et ce d’autant moins que bien d’autres paramètres influent sur le goût des concombres et, par ricochet, également sur celui des cornichons : le climat joue un rôle, mais aussi les sols et les méthodologies culturales** (les deux plantes aiment la chaleur, mais pas la sécheresse, il faut donc les arroser régulièrement avec de l’eau pas trop froide et maintenir leur pied dans un milieu frais, à l’aide d’un épais paillage).
Venons-en aux faits et voyons ce qui fait de ce binôme potager un véritable miroir à deux faces : on l’a dit, il appartient au cercle des cucurbitacées, cette immense famille d’origine tropicale qui, en quelques milliers d’années, a colonisé l’ensemble de la planète -de l’ancien jusqu’au nouveau monde – avec ses innombrables têtes d’affiche (melon, courge, citrouille). Plus fort encore : le concombre et le cornichon sont deux fruits issus d’une espèce végétale unique et très grimpante et coureuse, le cucumis sativus (voir ci-dessous).
Ils sont donc intrinsèquement liés, répondent du même génome et, au regard de la botanique, se posent en jumeaux presque parfaits. Les sons qu’ils produisent en bouche se font écho : une oreille extérieure non avertie se fera une joie d’associer leur musique au long calvaire de grains de céréales broyés avec les dents. En revanche, celui qui prend un malin plaisir à les mastiquer et à fendre leur armure d’une légère pression exercée par ses deux molaires fera la différence entre la texture du cornichon, ferme, et celle du concombre, plus moelleuse. Leur forte teneur en eau – environ 95% chacun – désaltère mais n’altère en rien leurs qualités organoleptiques – les effets agréables qu’ils provoquent sur nos sens -.
Un problème de taille
Un cornichon exposé sous la lentille grossissante d’une loupe aurait l’air d’un concombre et, pareillement, un concombre jeté aux pieds du géant Vert passerait immanquablement pour un cornichon. Ce qui distingue le condiment des dimanches, confit dans du vinaigre aromatisé, de son alter-ego voué à un découpage en rondelles (voir photo ci-dessous), relève d’une question de tailles, et de croissance biologique.
Le cornichon est en effet un concombre que l’on récolte avant sa pleine maturité (peu après la floraison lorsqu’il atteint 5 à 8 centimètres de longueur) : le philosophe grec Aristote aurait dit de lui qu’il est un concombre en « puissance », ou « en devenir ». Nous nous contenterons d’une maxime plus simple : le cornichon est presque toujours un concombre qui s’ignore…presque car tous les concombres ne donneront pas forcément de bons cornichons, et vice-versa. Toutefois, deux variétés ont encore la faculté d’accoucher de l’un ou de l’autre, selon que l’on procède à une récolte précoce ou plus tardive de leurs fruits : lorsqu’ils sont cueillis jeunes, ceux du « Concombre Le généreux » sont « cornichonables » (pardon pour le néologisme) et, à l’inverse, le cornichon « Amélioré de Bourbonne » est « concompatible », pour peu qu’on le laisse grossir jusqu’au dernier stade de sa croissance.
Avec le temps et à force de sélections, les particularités de chacun ont été isolées et ont donné lieu à l’élaboration de types spécifiques. Le « Fin de Meaux » et « Vert Petit de Paris », par exemple, présentent toutes les qualités de parfaits cornichons : une chair aussi ferme que croquante, et une taille courte qui leur permettent de se glisser et s’entasser dans des bocaux pour y faire trempette, à même le vinaigre (pour la conservation).
Le monde des concombres se divise, lui, en deux ou trois catégories qui ont trait à leur aspect et leurs caractéristiques gustatives. Les plus courants, verts, longs et lisses se rattachent à une variété créée au milieu du XXème siècle par des sélectionneurs Bataves à partir d’un cultivar « anglais » dépourvu d’amertume (ils ne contiennent pas de graines, ou très peu) : le Rollinson’s Telegraph, le Vert Long Maraîcher et la Tanja s’inscrivent dans cette famille hollandaise. Le premier produit un fruit long de 30 à 40 centimètres. Les deux autres sont plus courts (25 à 30 cm).
Parmi les demi-longs (et légèrement épineux), citons le Marketer (25 cm) et sa version améliorée, le Marketmore, plus productif et hâtif.
Le concombre le plus…encombrant appartient sans doute à la variété « Vert long de Chine » (jusqu’à 60 cm)…et la palme de l’originalité revient au « Lemon » dont le fruit sphérique et jaune ressemble à un citron hypertrophié.
En conclusion : difficile de se faire une place au soleil quand on doit grandir à l’ombre du concombre. Ce triste sort fut longtemps celui du cornichon, éternel second et mini légumineux dans le petit clan familial « cucumis sativus » dominé par son grand frère dont il n’était que le portrait inachevé et prépubère . Au fil des ans, le cadet a su s’émanciper de l’aîné et se faire un nom, jusqu’à s’imposer comme un grand sur les tables de Louis XIV. Il a depuis creusé son sillon et emprunté un chemin qui lui est propre dans le règne végétal. Des variétés spécialement conçues pour lui l’ont érigé sur un trône, et quel trône : celui du roi des condiments !
*pour info, il existe bien un concombre dit « amer » mais celui-ci n’est pas à proprement parler un concombre – -du moins pas au sens botanique du terme – puisqu’il provient d’une autre espèce, la margose.
**D’aucuns -des cuisiniers surtout – évoquent même la technique d’épluchage du légume