Pour les botanistes, qu’ils soient pastèque ou melon, ils sont des fruits. Mais les jardiniers les cultivent au potager, là où leurs cousins « cucurbites » – concombres et courges – se poussent gentiment du col. Les cuisiniers, eux, les servent comme des légumes frais…en entrée !
C’est un rituel bien établi sur les marchés : pour faire bonne pioche sur un étal hautement pourvu en melons, on soupèse et on renifle la marchandise, on tâte l’écorce au pifomètre, on juge sa couleur, et les plus pointilleux des scrutateurs vont même jusqu’à vérifier la stabilité du pédoncule, cette petite queue qui orne la rotondité presque parfaite du fruit (si l’organe s’en décolle légèrement et laisse un craquelure à sa base, c’est un gage quasi-certain de maturité).
La pastèque fait appel à des gestes identiques et mobilise le même registre sensitif, mais il est aussi d’usage d’en mesurer la qualité à l’oreille, avec la paume de la main, à l’aide de l’index (replié) ou au moyen d’un objet dur, le manche d’un outil par exemple qu’on assène en petits coups secs sur la surface de la baie (ci-dessous), comme on frapperait à la porte d’un voisin toc ! toc ! toc !: plus le bruit est sourd et résonne grave, meilleur serait le produit…
Très rarement confondus mais souvent comparés, melon et pastèque sont pourtant loin de se tirer la bourre dans l’assiette : En France, le premier est beaucoup plus consommé que la seconde (respectivement 6 et 1,5 kg par personne et par an, selon Kantar Worldpanel). Un match déséquilibré qui, au-delà des sensibilités culturelles propres à chaque population de consommateurs, s’explique à partir de fondements non dénués de considérations pratiques : avec sa taille XXL, la pastèque, beaucoup plus encombrante que le melon et aussi plus difficile à découper, rebutera quiconque craint -faute de doigté – de laisser une phalange ou un pan de chemise dans cette délicate opération. Surtout, sa chaire onctueuse et rafraîchissante est parsemée de rangées de gros pépins difficiles à avaler, là où ceux du melon, certes plus nombreux, sont regroupés dans le creux d’une cavité centrale qu’il est aisé de retrancher de la pulpe alentour avant de s’en sustenter.
Le degré d’apparentement entre les deux plantes se vérifie dans leur carte d’identité botanique respective. Elles appartiennent à la même grande famille – les cucurbitacées – un groupe très peuplé où émargent aussi la courge, le concombre et le cornichon. A l’intérieur de ce lignage dominé par les herbacées, melons et pastèques ne sont toutefois « que » des cousins germains puisque leur caractère génétique se particularise dans deux genres distincts : cucumis pour les uns, citrullus pour les autres.
Dans ce jeu de miroir à multiples reflets, la rigueur scientifique du latin se confronte à la réalité de chiffres plus concrets qui permettent, par exemple, d’établir des comparatifs d’ordres diététiques : les deux légumes sont gorgés d’eau dans des proportions à peu près égales (90% de leur composition) : cette constitution aqueuse en fait deux incontestables champions des menus frais servis dans la touffeur des étés. Ils représentent aussi des atouts à faire valoir dans les régimes minceur car s’ils sont plus sucrés que la moyenne des légumes (6 grammes environ, contre 3 g), ils le sont beaucoup moins que la majorité des fruits, bien qu’ils en partagent la flaveur. De surcroît, tous deux sont peu chargés en lipides (0,2 g au maximum).
Dans un duel qui l’opposerait à la pastèque sur le terrain de la nutrition, le melon aurait assez largement de quoi se gonfler d’orgueil : il a en effet beaucoup d’énergie à revendre, trois à quatre fois plus de vitamine C que sa congénère (28 mg contre 9 mg en moyenne) et 7 fois plus de bêta-carotène (d’où sa couleur orangée), ce pigment capable de se transformer en vitamine A dans l’organisme et d’y renforcer le système immunitaire, la peau, le développement cellulaire et la vision. Mais la pastèque possède un gros avantage sur le cucumis melo : elle a donné son nom (citrullus lanatus) à un bien rare qu’elle serait la seule à receler en si grande quantité dans ses entrailles juteuses et rosées. Il s’agit de la citrulline, un acide animé identifié il y a plus de 70 ans et dont les puissantes propriétés antioxydantes permettent à certaines variétés -comme Sugar Baby– de bien résister aux périodes de sécheresse. Cette molécule est également reconnue pour ses bienfaits chez l’être humain (circulations sanguine, force musculaire, libido) et les effets thérapeutiques qu’elle produit sur certaines maladies métaboliques (diabète, hypertension artérielle) et autres insuffisances cardiaques.
En dignes représentants des cucurbitacées, les deux espèces développent de très gros fruits – des péponides -, parmi les plus volumineux du règne végétal : c’est surtout vrai pour la pastèque, dont certaines variétés offrent une baie d’environ 10 kilos (Crimson Sweet). Les plus petites (1 à 3 kilos) sont produites par la bien nommée Mini Love. Deux curiosités à signaler : la Lune Etoile dont la peau verte piquetée de points jaunes évoque le dessin de constellations célestes, et « Janosik » qui se distingue par une étonnante association de noir (sa peau) et de jaune (sa pulpe).
Des 250 variétés de melons répertoriés par le catalogue officiel français (une trentaine pour la pastèque), le charentais dit « cantaloup » est, d’assez loin, le plus populaire et le mieux représenté sur les étals : sous son écorce lisse et pâle sillonnée de vert, se découvre une chair à l’orange vif et très parfumée. Un grand classique qui, malgré ce que sa dénomination laisse à penser, n’est pas strictement français* : comme le melon de Cavaillon, il fut ramené d’Italie à l’aube de la Renaissance (XIVème-XVème siècles) et progressivement implanté sous nos latitudes régionales, entre sud-est (les départements actuels du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône) et centre-ouest (Charentes, Aquitaine, Touraine et même Anjou). Leur désignation « cantaloup » est une francisation de « Cantalupo », un village localisé près de Rome où les papes du Moyen-Age possédaient des jardins potagers.
Associée dans l’imaginaire collectif à la couleur orange (la variété Alvaro par exemple), la chair du melon se décline pourtant dans d’autres nuances plus pâles tirant sur le vert et même le blanc : c’est le cas d’Asian Delight, de « Boule d’Or », de « Branco do Ribatejo » ou encore de « Jaune canari ».
Au jardin, les semis de la pastèque et du melon sont à effectuer de mars à mai (sous serre ou châssis car ils ont besoin de chaleur, 20 C° minimum). Leur récolte intervient durant l’été (juillet-septembre). Les deux plantes apprécient les emplacements lumineux et s’étirent en longueur par l’entremise de leur lianes rampantes (2 à 4 mètres) qui lézardent au soleil, et accrochent leurs vrilles aux supports qu’elles rencontrent.
En conclusion, le melon et la pastèque présentent beaucoup de similitudes : un gout frais et sucré, une forte teneur en eau et un éventail d’atouts nutritionnels qui en font des alliés minceurs, appréciés des sportifs et très indiqués dans les régimes diététiques. Si elles se distinguent par le poids, la circonférence et la couleur de leur légume-fruit (péponide), elles partagent une même origine tropicale ou subtropicale (sans doute africaine) et appartiennent à la même souche botanique (cucurbitacées). Cette proximité se révèle plus prosaïquement dans les replis du parler ordinaire : sur de nombreux marchés, la pastèque n’est rien d’autres qu’un… « melon d’eau », une appellation héritée des anglais pour qui le melon (rien à voir avec le chapeau !) est un « melon » – prononcez « maalone »- et la pastèque un « watermaalone ». Quand la langue s’en mêle…
*La mention « charentais » ne se rapporte pas à une origine géographique propre, mais désigne un type commercial qui peut être cultivé en dehors de cette région.