Sa forme rappelle la carotte, sa texture le rapproche du navet et ses fanes ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles du céleri. Des analogies qui l’ont culturellement (au propre comme au figuré) fait sombrer dans un oubli long de plusieurs siècles, détrôné, éclipsé, ringardisé par des racines plus « sexy », au caractère exotique et dotées d’un meilleur potentiel productif, à l’instar de la pomme de terre, ramenée d’Amérique au XVIᵉ siècle. À la faveur d’un retour en grâce de nombreux légumes anciens, phénomène très sensible depuis plusieurs années, il a été remis dans le sens du vent par beaucoup de grainetiers, ressuscitant du même coup son identité propre et singulière. Bref : Il n’est pas né celui qui anéantira le panais !
Gloire à celui qui, au premier coup d’œil, saura distinguer une carotte blanche de Küttingen d’un panais demi-long, placés côte à côte. Même teint blafard, même conicité, même taille…. Cette proximité assez frappante reflète, avec plusieurs siècles de décalage, la confusion qui prévalut pendant très longtemps, au moins jusqu’à l’époque de la Renaissance, tant chez les jardiniers que les consommateurs.
Le panais à la peine face à la carotte
Rien de plus logique, car la parenté de ces légumes, presque jumeaux, est réelle : tous deux émargent en bonne place au club des apiacées aux côtés du cerfeuil, du fenouil ou du céleri. Il aura fallu que la carotte fasse sa propre révolution, sous l’égide de chercheurs bataves à l’origine de sa couleur « orange » (voir notre précédent article sur le sujet), pour que les deux « racines » s’émancipent véritablement l’une de l’autre. La différenciation s’opéra d’abord dans les volumineux registres de classification botanique, avant de s’imposer dans les esprits puis, par ricochet, dans les livres de recettes de cuisine.
Que reste-t-il du panais ancien ? Son nom d’abord. Deux écoles se « confrontent » sur ce point : la première fait remonter son appellation aux civilisations gréco-romaines qui baptisèrent cette racine blanche, assez revigorante sur le plan digestif, d’un substantif latin – « panacem » (ou « remède ») – à partir duquel le français moderne a construit par la suite le terme « panacée » empreint d’une connotation curative.
La seconde fait dériver le panais d’une autre source latine : « pastus » (pour « pâture », donc nourriture) qui devint plus tard pastinaca, son genre botanique et, dans notre jargon populaire, « pastenade ». Ce dernier vocable a, bien au-delà du « panais » proprement dit, longtemps servi à désigner d’autres légumes à grosses racines, comme le cerfeuil et même… la carotte. Encore, elle.
Pour se figurer à quoi pouvait ressembler un panais au Moyen-Age, ingrédient qui faisait fureur dans le pot-au-feu médiéval, il suffit d’examiner son espèce « sauvage », très présente le long des sentiers, les terrains vagues, les champs ouverts, les talus : un port d’1,5 mètre en hauteur à son maximum, des paires de feuilles découpées en folioles dentées, des fleurs vertes à jaunâtres réunies en grappes, et une tige filandreuse et très allongée porteuse d’un système racinaire fibreux beaucoup plus dur à découper en tronçons que celui des variétés cultivées. Son goût ? Une sorte de best of qui compile l’arôme de l’artichaut, celui de la carotte (toujours elle), du céleri-rave voire de la patate douce, le tout ponctué d’une vague saveur de noisettes où percent d’agréables notes sucrées qui semblent se diffuser en spirale dans la bouche (le panais contient plus de saccharose que sa cousine orange, 6,20 g pour 100 grammes, contre 4 grammes pour la carotte).
Des ronds et des longs
Les panais d’aujourd’hui, cultivés en potager, ont conservé ces caractères gustatifs originels, sublimés dans une texture beaucoup plus tendre, presque fondante. Ils se déclinent en trois grandes catégories qui se différencient entre elles par leurs morphologies :
Le panais rond, plus rare, épouse la forme d’une toupie d’un diamètre d’une douzaine de centimètres.
Le panais semi-long est le profil que l’on rencontre le plus couramment sur les étals. Visuellement, c’est aussi celui qui présente le plus de proximité avec la carotte blanche, bien qu’il soit un peu plus long et charnu que sa parente. Outre le cultissime et très ancien demi-long de Guernesey, né en Angleterre il y a plusieurs siècles (où il n’a d’ailleurs jamais vraiment périclité et bien résisté à la concurrence de la carotte « orange » et la pomme de terre) ce groupe comprend d’autres variétés, comme le panais White Gem, un individu à racines courtes et compactes, valeur sûre en terres argileuses. Le panais Mitra, dont la chair tendre jaune pâle sécrète une douce saveur d’anis aux accents sucrés, déploie au contraire un tubercule d’une trentaine de centimètres, mieux adapté aux sols légers et aérés.
Le panais long (jusqu’à 45 cm) ressemble à la forme sauvage de la plante dont il est une version améliorée, tant sur le plan de la saveur que de la texture : dans cette catégorie, citons la variété d’origine britannique Tender and True, et le Bielas aux racines lisses, faciles à conserver.
Panais gelé, panais sucré
Sur les étals, sa blancheur est un indice de fraîcheur (sa couleur tend en mesure à s’assombrir à mesure qu’il perd en maturité).
Dans le registre nutritionnel, le panais n’a pas à rougir devant la carotte, loin de là. À poids équivalent, il affiche teneur en vitamines B9, C et E deux à trois fois supérieure à celle de sa consanguine. Il contient aussi beaucoup de magnésium (un minéral qui renforce notamment les défenses immunitaires) et renferme une importante quantité de fibres dont les bienfaits sur le transit intestinal avaient été identifiés très tôt par les civilisations antiques (d’où le qualificatif « panacem » qu’elles lui auraient attribué).
Cerise sur le gâteau, le panais est peu calorique (70 pour 100 grammes), moins que la pomme de terre (90) ou le manioc (140), mais un peu plus que la carotte (40) ou le céleri-rave (45).
Au jardin, le panais s’inscrit dans un cycle cultural de 120 à 140 jours, avec des semis de printemps traditionnels (de mars à juin), ou des semis pré-automnaux (septembre) en climat doux. Attention, le germe, assez lent, se déploie jusqu’à deux semaines après la mise en terre. Rustique, le panais supporte bien le gel et met à profit les périodes de grand froid pour accumuler de l’amidon et… transformer partiellement ce glucide en sucre. Un processus qui renforce sa concentration de saccharose à la suite de l’hiver.