En France, la IVème République périclitait, Jacques Anquetil remportait son premier Tour et Johnny s’apprêtait à entrer dans la lumière. C’est aussi l’année que choisit un illustre philosophe et nutritionniste japonais pour introduire en Flandres les premières semences d’une courge d’Hokkaido. Séduits, les francophones allaient bientôt la baptiser : « potimarron ».
Dans une interview donnée au Herald Tribune, il avait prédit l’assassinat du président Kennedy, trois mois avant l’attentat fatal de Dallas, survenu le 22 novembre 1963. Le très clairvoyant Georges Oshawa s’était-il seulement imaginé que son « potiron doux » ramené cinq ans plus tôt d’Hokkaido – une île volcanique de l’archipel nippon – allait se faire un nom en Europe ?
Lorsqu’il reçut les semences des mains du philosophe un beau jour de 1957, l’agriculteur belge Pierre Gevaert s’était entendu dire de la bouche même de son prestigieux donateur : « Pierre, un grain, dix mille grains ». C’est en tout cas ce que l’intéressé relate dans son livre « Alerte aux vivants et à ceux qui veulent le rester -pour une reconnaissance agraire », préfacé par Pierre Rhabi (2006). Cette petite phrase sibylline, quasi évangélique, en disait long sur la générosité de la cucurbitacée et sur sa capacité à « donner » et faire des petits sans compter. Si bien qu’un an plus tard, à l’automne 1958, Pierre Gevaert affirme avoir pu « distribuer la plante un peu partout dans le monde ».
En Europe, le fabuleux destin du « potimarron » s’est donc joué il y a moins d’un siècle tout près…de Bruxelles. Il est le fruit d’une rencontre entre deux « cultures », celle d’un professeur japonais, fondateur d’une méthode philosophique – la macrobiotique – qui cherchait à promouvoir une forme d’équilibre alimentaire à partir des principes orientaux du yin et du yang (nous n’entrerons pas dans les détails), et celle d’un agriculteur flamand, pionnier du bio à travers sa marque de produits sains et diététiques Lima créée dès 1957 (pour l’anecdote, Lima est un clin d’œil à Lima Oshawa, l’épouse de son maître à penser).
Du rock au…potimarron
C’est d’ailleurs à Pierre Gevaert que le potimarron doit son nom, un néologisme qui accomplit la prouesse de contracter deux notions sensitives : son apparence, proche de celle de son cousin le potiron, et son goût qui rappelle celui de la châtaigne et du marron. Mais c’est un autre personnage, lui aussi atypique, qui officialisa « juridiquement » l’usage du terme dans les années 1980 en le déposant auprès des administrations compétentes : il s’agit de Philippe Desbrosses, un ancien rocker français des sixties, guitariste d’un groupe de tendance psychédélique, assez oublié aujourd’hui – Belisama.
Après cette parenthèse show bizz, l’homme revint dans la ferme que ses parents venaient de convertir à l’agriculture biologique en 1969. Ici, en Sologne, il s’employa, au nom de la biodiversité, à réintroduire des variétés rustiques et anciennes, à rebours des pratiques mises en œuvre par l’industrie semencière. Desbrosses raconte avoir découvert et goûté pour la première fois le potimarron au moment de son virage professionnel, alors qu’il effectuait un stage sur une exploitation à Saint-Laurent (Cher), sans doute au tout début des années 1970.
A cette époque, le légume importé quinze ans plus tôt par Georges Oshawa n’était pas encore désigné sous le nom qui le définit si bien aujourd’hui : les populations occidentales d’alors, de plus en plus séduites par cette « nouvelle » cucurbitacée venue d’extrême Orient, l’assimilaient encore au « potiron doux d’Hokkaido ». Certains allaient jusqu’à l’appeler « courge de Chine » ou « Red Kuri ».
Vingt ans durant, Pierre Desbrosses et ses équipes ont travaillé sur la plante et procédé à des sélections aléatoires au moyen de fécondations manuelles effectuées au pinceau afin d’obtenir des variétés améliorées. Ces recherches ont abouti à l’élaboration de cultivars qui correspondent au potimarron type, celui que les consommateurs rencontrent le plus souvent sur les étals et identifient le mieux, à savoir un fruit en forme de petite toupie ou de « chapeau chinois » inversé, toujours plus menu que la courge et chichement vêtu d’une fine peau orangée ou rouge sur une chair savoureuse et crémeuse.
Avec sa vague silhouette de poire à lavement, le Fictor bio coche toutes les cases du potimarron culte, en dépit de son petit gabarit (moins d’1 kilo) : il présente en revanche la particularité d’être un bon pollinisateur et d’accroître la productivité des autres variétés cultivées dans son sillage (semis en mai en pleine terre, et récolte avant les premières gelées d’automne).
A côté, les fruits formés par le Solor bio apparaissent un peu plus gros (1,4 kilo en moyenne d’après les résultats par La Bonne Graine lors d’essais réalisés en 2019).
Le potimarron Uchiki Kuri (voir photo-ci-dessous), le classique des classiques japonais, affiche un look qui confine davantage à la citrouille, une cousine germaine : sa généalogie le rattache aux Kabocha, un groupe cultivars développés depuis le XVIème siècle au pays du soleil levant à partir du potiron.
Nonobstant le folklore asiatique qu’il véhicule à travers sa forme de toupie – le pédoncule ondulant qu’il arbore sur sa tête rappelle aussi, à certains égards, le coupe chonmage des samouraïs et des lutteurs de sumo – et contrairement à ce que l’intervention décisive de Georges Oshawa donne à penser, le berceau originel du potimarron ne se trouve pas au Japon : l’espèce à laquelle les botanistes l’apparentent (cucurbita maxima, la même que celle du potiron) provient historiquement du Nouveau Monde où sa zone primitive de diffusion épousait un très large rayon situé entre Amérique centrale et le chaîne des Andes, au sud.
Le potimarron, un courge…magique !
Après 1492, l’irruption des européens sur ce continent longtemps ignoré lui offrirent l’occasion d’un tour du monde : les marchands l’introduisirent en Asie du sud-est, au Cambodge notamment d’où des portugais l’auraient amené au Japon au milieu du XVIème siècle. De là viendrait son nom oriental « kabocha », déformation linguistique locale de « Kanbojia ».
Bien plus tard, son « transfert » en Occident, on l’a vu plutôt couronné de succès, suscita l’intérêt des nutritionnistes qui, à la suite du vénérable Oshawa, découvrirent ses vertus diététiques : Pierre Desbrosses n’y est pas pour rien.
Le chercheur et promoteur historique du potimarron confia son « produit fétiche » aux bons soins de spécialistes de la discipline qui firent la lumière sur sa composition : une part constituée à 90% d’eau (bien moins que le concombre, le radis ou la tomate), à laquelle s’adjoint un détonnant cocktail de vitamines et de minéraux (du phosphore et du calcium bons pour les os et les dents, du magnésium bons pour les nerfs et les muscles, des vitamines B,D et E et surtout…une quantité de bêta-carotène deux fois plus importante que dans la carotte !).
Desbrosses rapporta le détail de ces résultats dans un article publié dans un journal dédié aux potagers : effet presque immédiat, la vente de graines de potimarron décolla et leur valut le surnom flatteur de…courges magiques !
En conclusion : charnu, savoureux, légèrement sucré comme la châtaigne et reconnu pour ses vertus diététiques, le potimarron est une variété de potiron dont il tire d’ailleurs la racine de son nom « vulgaire » (par extension tous les deux sont des variantes de courges). Il se distingue toutefois de son frère par sa taille, plus compacte. Sa longue odyssée à travers le monde l’emmena depuis son Amérique natale -comme toutes les cucurbitacées– jusqu’en Asie où les japonais en firent une de leurs spécialités potagères : c’est un cultivar développé sur l’ile d’Hokkaido que les européens découvrirent il y a moins d’un siècle par l’entremise d’un philosophe et nutritionniste oriental, inventeur du régime macrobiotique.
Depuis, le potimarron a bien roulé sa bosse sur le vieux continent grâce aux sélections opérées par des passionnés, pionniers pour la plupart d’agriculture biologique : légume d’automne par excellence (il se déguste d’octobre à janvier), il achève souvent sa vie en soupe, en purée et même en tarte le soir d’Halloween -une tradition ! –. A moins que les enfants chasseurs de bonbons ne lui réservent un meilleur sort : celui d’avoir la peau crevé et le corps éviscéré pour devenir un modèle réduit et plus débonnaire de l’effrayant Jack à la lanterne…